8 décembre 2009 – 7 février 2010
Viola Groenhart / Films




Si le cinéma imprime 24 fois par seconde « la mort au travail » comme l’affirmait Cocteau, ou s’il est intéressant car il saisit la vie et le côté mortel de la vie comme le suppose Godard, c’est parce qu’il est, à l’instar de la photographie, une mécanique qui « produit la mort en voulant conserver la vie » (Barthes). Héritier de part et d’autres des principes de la camera obscura et des jeux optiques, le cinéma produit aussitôt cette esthétique de l’ombre et de la lumière, fantastique et crépitante, flottante : un monde habité de fantômes, de créatures étranges et scintillantes, attaquées de spasmes ou de syncopes comme par maladie.
Le cinéma de Viola Groenhart est un cinéma de l’absence. L’empreinte lumineuse y enregistre des spatialités distordues dans des temps parallèles. Dans Sanctus (2007) un peuple d’ombre surgit du noir. L’orchestre d’abord puis au fond une tapisserie de figures éclairées par groupe. Immobiles, elles sont suspendues aux nappes sonores des chœurs grégoriens de la Berliner Messe (1990) du compositeur estonien Arvo Pärt. Les spectres en lévitation accrochés dans le noir sont des figures de cire et des apparitions lumineuses filmées dans une esthétique picturale flamande dix-septiémiste, sur lesquelles la mystique de Pärt coule. Peuple de revenants silencieux convoqués par une voix d’au-delà, ils possèdent les qualités magiques du photographique. Le film rejoue la boite noire de la camera obscura, le rayon lumineux révèlent les objets filmés en tant que présence et absence. Cette plastique de la résurgence est une dialectique du passage, celui de l’apparition à la disparition, du fixe au mouvement, de la vie à la mort. Le cinéma y est l’habitat magique de protubérances lumineuses en attente.
Dans Two Ways (2009) elle filme deux hommes escaladant les montagnes de Wasdale Head, au nord-ouest de l’Angleterre. Le premier file son chemin, le second peine. En plan subjectif la caméra enregistre sa difficulté, son instabilité, son incapacité à suivre le chemin tracé par celui qui le devance. Puis, habitée d’une autonomie quasi-surnaturelle, elle décroche, glisse vers le bas en frôlant la coulée des pierres sombres et angulaires. Plan fixe sur les cailloux. L’ouverture de l’obturateur n’a pas bougée mais le ciel s’est dégagé et le cinéma rend compte d’un mouvement par l’apparition au sol d’un rayon de soleil. Le film attrape ici quelque chose que seul le cinéma pouvait capturer : un indicible et fulgurant changement dans la lumière. Car le cinéma capte le changement et les transformations car il est transformation et dispositif lumineux de métamorphose.
Viola Groenhart dit de Sanctus “J'ai fait Sanctus avec le désir de rendre visible l'élément « sacré » que j'éprouve dans la musique et dans le silence. Mais Sanctus parle aussi d'une certaine incapacité humaine ou d'un refus même, de l'atteindre.” Si Viola revendique comme centrale la notion de « calme » dans son travail, l’ambigüité de cette notion, “stillness” en anglais, renvoi doublement à l’apaisement et à l’image figée, fixe ou photographique au cinéma. Dans les deux cas le silence et l’immobilité sont associés à la mort car l’arrêt du mouvement renvoi de fait à la fin de quelque chose : celle du récit en même temps du ruban filmique . Le fixe opposé au mouvement, l’orchestre contre le chœur et le cadre face au mouvement convulsé, c’est ici la résurgence du photographique dans le film, l’instinct de mort du cinéma qui le hante comme l’ombre de Yakov Petrovich Goliadkine pouvait torturer son maître.
Viola Groenhart est née en 1981 aux Pays-Bas. Elle vit et travaille entre Amsterdam (NL), Lille (FR) et Vieux-Fort (GLP).



If cinema prints 24 times a second " - death at work " as asserted by Cocteau, or if cinema is interesting because it seizes – life and the mortal side of - life, as surmised by- Godard, it is because it follows the example of photography, a mechanism which "produces death while aiming to preserve life" (Barthes). Heir to both sides of the principles of camera obscura and optical games, - the aesthetics of shadow and light are immediately produced, fantastic, cracking and floating; inhabited by a world of ghosts, of strange and twinkling creatures attacked by spasms or a sickness induced syncope.

The cinema of Viola Groenhart is a cinema of absence. - The luminous print records contort spatiality in parallel- times. In Sanctus (2007), shadow people appear - from the darkness. First, in the foreground the orchestras, then a tapestry of progressively lit groups of figures appear in the background. They are suspended in mid air, motionless, as if held there by the voices of the Gregorian chorus of the Berliner Messe (1990) by the Estonian composer Arvo Pärt. The levitating spectres hanging in the blackness are like wax figures, brilliant appearances filmed like a Flemish seventeenth century pictorial aesthetic, on which the mystic of Pärt flows. Silent ghost- people convened by a voice of the hereafter, they possess the magic qualities of the photographic. The film replays the black box of the camera obscura, the ray of light reveals the filmed objects as presence and absence. This aesthetic of the resurgence is the dialectic of passage, of appearance to disappearance, of stillness to movement, of life to death. The cinema is the magic habitat of luminous protuberances on hold.

In Two Ways (2009) Groenhart shoots two men climbing the Wasdale Head fells in the northwest of England. The first man follows his path powerfully with agility, the second is in trouble / struggles. In subjective shot the camera records his difficulty, his instability, his incapacity to follow the trail mapped out by the one who outstrips him. Then, inhabited with a quasi-supernatural autonomy, the camera goes back and slides down-, brushing the flow of dark and angular stones. Then a static shot on the stones. The aperture of the diaphragm does not move but as the sky clears and the cinema displays a movement by the appearance of a sunbeam on the ground. Here the film catches something that only - cinema could capture: an undetected and dazzling change in the light. Because cinema captures change and transformations; because it is in itself transformation and a luminous device of metamorphosis.
Viola Groenhart says of Sanctus “I made Sanctus with the desire to make visible this 'sacred' element I find both in music and in silence. But Sanctus also speaks about a certain human incapacity or refusal even, of reaching this.” If Viola states the importance of the notion of "stillness" in her work, the ambiguity of this notion refers at the same time to the peaceful and to the still/ frozen image, the fixed or photographic image in - cinema. In both cases the silence and the immobility are associated with death, because the stopping of - movement refers de facto to the end of something: the story and at the same time, the cellulosic ribbon /celluloid ribbon. Stillness as opposed to motion, the orchestra versus the choir and the fixed frame in front of convulsed movement, here we find the resurgence of the photographic in - film, the death instinct of the cinema that haunts it like the shadow of Yakov Petrovich Goliadkine could torture his master.
Viola Groenhart is born in 1981 in the Netherlands. She lives and works in transit between Amsterdam (NL), Lille (FR) and Vieux-Fort (GLP).

 Programmation : Marie Canet

Film Programme
Sanctus
2007 / 16 mm transferred on dvd / 5’30 / col. / sound
Two Ways
2009 / 16mm transferred on dvd / 8’ / col. / sound

Sur moniteur
Passage
2006 / video SD / 3’ / col. / sound

The Chinese thanks Viola Groenhart, Louise Boutkai-Courcier and Thomas Bernard.