8 octobre - 7 décembre 2009
Robert Breer / Films




Au début des années 50, alors qu’il vit à Paris, Robert Breer produit une peinture héritière de l’abstraction géométrique. Fortement influencé par le Néoplasticisme définit par Mondrian ou Théo Van Doesburg, il participe aux cotés de Pol Bury, Tinguely ou Soto à l’exposition Le Mouvement co-programmée par Denise René et Victor Vasarely. Cependant, sans fusionner avec les ambitions de l’art cinétique, alors même que le rigorisme plastique empreint de pureté formelle est déjà remis en cause par la néo-avant-garde portée par Pier Manzoni, Tinguely ou Yves Klein, Breer s’échappe : la ligne prend des coups, la couleur se dissout, le film surmonte la peinture. Le plan est une surface élastique sur laquelle les formes se meuvent et sont en fuite.
La déviance prend la forme de déplacement : de la géométrie vers une esthétique de la glisse. L’échappée est un dépassement des spécificités des médiums comme le montre le premier groupe de films Forms Phases I, II et IV (1952). « D’emblée, explique Laura Hoptman, Breer, versé dans l’excentricité, s’est érigé contre l’effort de rationalité que l’abstraction néoplasique cherchait à imposer au cœur du chaos. Il construisit ses compositions des années 1950 autour de formes qui semblaient s’entrechoquer plutôt que s’harmoniser entre elles.» Les angles sont arrondis, les arrêtes adoucies, les lignes légèrement incurvées. « La sévérité, la précision optique, l’irréductible quiddité des représentations de Max Bill, Ellsworth Kelly, François Morellet et Victor Vasarely, qui exposaient tous à Paris à cette époque, sont autant de caractéristiques absentes des toiles de Breer, lesquelles ne sont ni statiques, ni dynamique, mais relèvent plutôt d’une sorte d’esthétique du mouvement arrêté.» .
Utilisant une vieille Bolex 16mm, Breer tourne Form Phases à partir de collages et de peintures. Dans une interview accordée à Yann Beauvais il revient sur le processus. A cette époque, dit-il, il lui semblait étrange de produire une à une et chaque semaine des peintures dites « absolues ». Pour comprendre le processus qui menait de la toile vierge à l’absolu pictural et terminal, il avait dessiné sur transparents l’évolution plastique du projet, les faisant défiler comme on le ferait d'un flip book. Il expérimente ainsi pour la première fois le phénomène de perception rétinienne sur lequel repose le cinéma d'animation. Il filme l’ensemble image par image en y injectant, contre les préceptes néo-plastiques, cassures et incohérences. Peinture mouvante aux formes plastiques mutantes, l’écran est transformé en canevas sur lequel la peinture déborde le cadre de son propre support. Or avant même le cinéma, le cinéma était déjà là. Car au lieu de considérer le résultat comme l’image terminal, refusant même l’issue et y préférant l’évaporation, Breer choisit le déploiement non seulement de la peinture sur le ruban filmique mais aussi son extension et son ouverture phénoménologique.
Lors d’une interview réalisée à l’époque de Pat’s Birthday en 1962, sorte de home-movie réalisé en collaboration avec Claes Oldenburg et filmé à l’occasion de l’anniversaire de Pat sa femme, Breer a expliqué que son film était construit sur la notion « d’équivalence » soit « un avion biplan égale un hot-dog ou un cuirassé égale une tourte égale un chapeau égale une crème glacée égale un bateau à voiles égale un pantalon sur un cintre égale un Christ en Croix égale un hamburger… » Etc. L’ «un engendre l’autre» est non seulement le calembour visuel qui permit à Méliès de transformer un omnibus en un corbillard mais c’est aussi cette esthétique du déplacement qui dans Form Phases IV est transformation d’une forme à mesure qu’une autre apparaît.

L’intérêt croisé de Breer pour le mouvement d’abord et pour le cinéma en conséquence se manifeste dans les différents objets pré-cinématographiques qu’il revisita au milieu des années 60. Les jeux optiques Now You See it (thaumatrope - 1996) ou Homage to John Cage (mutoscope -1963) s’animent avec le mouvement. Or animer c’est rendre vie par le flux. Cependant l’intérêt de Breer pour le mouvement porte d’avantage sur la saccade ou la lenteur, la discontinuité ou le hasard, que sur la fluidité. Les formes émergent, s’engendrent les unes les autres par collage et raccord plastique. Elles subissent en le générant le moment de leurs irruptions et de leurs disparitions. Le mouvement est un outil à fabriquer des blagues et de la stupeur, le cinéma une machine à produire des métamorphoses.
Les Rugs de Breer sont des sculptures informes et rampantes recouvertes de plastique et activées par des moteurs. Les Floats sont des sculptures minimales et cinétiques, présentées pour la première fois à Osaka avec E.A.T (Experiments in Art & Technology) en 1970. Selon un même principe elles glissent lentement en silence, de façon aléatoire. En activité ces objets animés poursuivent au sol l’intention du film, il s’agit d’un déploiement graphique et temporel du tableau, cette fois couché. Les formes sont en mouvement, les trajectoires aléatoires, la surface s’évapore en se distendant, le plan est repensé dans une perspective temporelle. Au lieu d’exploiter le rythme cinématographique et les mécaniques de déplacements en connivence avec les notions de déroulé ou de fluidité, Breer, contre l’illusion, crée des systèmes dysfonctionnant par le montage très ou trop rapide de ses films, par les trajectoires hasardeuses ultra-lentes de ses sculptures. Or au lieu de considérer le mouvement et les trajectoires à l’aune de la géométrie et de la vitesse ne doit-on pas, avec lui, revoir les habituelles modalités du continuum visuel et ré-envisager, ainsi, le lien entre l’art (le cinéma) et la vie ?

Héritier du Dadaïsme, artiste protéiforme et prolifique, Breer introduit le cinéma dans le collage et la mécanique dans la sculpture, insuffle dans ses formes la vie et l’accident, leur offre leur propre autonomie. Robert Breer est né en 1926 aux Etats-Unis. Sculpteur, cinéaste, dessinateur et peintre, il vit et travaille actuellement près de New-York.



8 October - 15 November 2009
Robert Breer / Films

At the beginning of the 50s, while he was living in Paris, Robert Breer produces a painting influenced by geometrical abstraction. Most influenced by Neoplasticism defined by Mondrian and Theo Van Doesburg, he participates beside Pol Burry, Tinguely or Soto in the exhibition Le Mouvement co-curated by Denise René and Victor Vasarely. Without however, merging with the ambitions of Kinetic Art, while the plastic rigor marked by the formal and chromatic purity was contracted by the Néo-avant-garde lead by Pier Manzoni, Tinguely and Yves Klein, Breer escapes : the line is punched, the color dissolves, the film surmounts the painting, the plane is an elastic surface on which the forms move and runaway. To him deviance is a kind of swing: from geometry towards sliding aesthetics. The breakaway is beyond the specificities of mediums as shown in his first film group Forms Phases I, II and IV (1952). As Laura Hoptman explains “The search for rationality in the midst of chaos embodied by postwar neo-plastic abstraction was, from the beginning, anathema to Breer’s antic spirit, and his compositions of the fifties consisted of shapes that knocked up against one another rather than fit together.” Corners are smoothed; lines are more flexible and slightly curved. “The severity, the sharp opticality, the obdurate thing ness of paintings by Max Bill, Ellsworth Kelly, François Morellet, and Victor Vasarely, all of whom showed their work in Paris during the decade of the fifties, are missing in Breer’s pictures which are neither static nor vibrating but rather in something like arrested movement.”
Using an old Bolex 16mm, Breer shoots Form Phases from collages and paintings. In an interview by Yann Beauvais he retraces the process. At the time, he says, it seemed strange to him to produce “absolute” paintings one after another and every week. To understand the process which led from the virgin canvas to the pictorial and terminal absolute, he drew on transparent plastic sheets the evolution of the project, making them flicker in order sequence like a flip-book. He experimented for the first time with the phenomenon of retinal perception, on which animation films are based. He filmed the series, image by image, breaking with the rules of Neoplasicism, injecting breaks and incoherencies. Unstable painting with mutant plastic forms, the screen was transformed into a canvas on which the painting goes beyond the limits of its own support. Now before cinema, cinema was already there. Instead of considering the result as the terminal image and refusing the outcome, Breer preferred evaporation, choosing a deployment not only of the painting on the cinematic ribbon but also its extension and its phenomenological openness.
During an interview which took place at the time of Pat’s Birthday in 1962, a kind of home-movie made in collaboration with Claes Oldenburg and shoot during the his wife Pat’s birthday, Breer explaines that his film was built on the notion of “equivalents", that is to say, “a biplane equals a hotdog or battleship equals pie equals hat equals ice cream equals sailboat equals pants on a hanger and Christ on cross and hamburger…” and so on. “One thing begets another” is not only the visual pun which allowed Méliès to transform a local train into a hearse, but it is also this aesthetic of the displacement which in Form Phase is a transformation of a shape as another one appears.

The cross interest of Breer for movement at first, and consequently for cinema, manifests itself in the various pre-film objects which he revisited in the middle of the 60s. The optical games of Now You See it (thaumatrope - 1996) or Homage to John Cage (mutoscope -1963) liven up through movement. Now to animate something it is to give life by way of a flux. Meanwhile Breer’s interest in movement turns essentially towards jerking or slowness, discontinuity or fate rather than fluidity. As shapes emerge they engender one another through collage and plastic match. They endure and generate the moment of their eruption and of their disappearance. Movement becomes a tool to joke and amaze, cinema is a machine to produce a metamorphoses.
Breer’s Rugs are formless and crawling sculptures covered with plastic and activated by motors. Floats are minimal kinetic sculptures, shown for the first time in Osaka with E.A.T (Experiments in Art and Technology) in 1970. Using this principle they slide slowly in silence and in random fashion. In action these animated objects pursue the intention of the film but on the ground; it is about a graphic and temporal deployment of painting, but this time on a horizontal surface. The forms are in movement, the trajectories are hazardous, the surface evaporates through distention, and the plan is rethought in a temporal perspective. Against the illusion and in complicity with the notions of “unwinding” and “fluidity”, Breer creates a dysfunctional system by editing his films very or too fast and through the ultra-slow and risky trajectories of his sculptures. So now instead of considering the movement and trajectories as the only criterion of geometry and speed, should we perhaps consider revising the visual continuum and envisage another time: the link between art (the cinema) and life?

Heir of Dadaism, multidisciplined and a prolific artist, Robert Breer introduces the cinema into collage and mechanics into sculpture, instilling life and accident in his forms, offering them their own autonomy. Robert Breer was born in 1926 in the United States, sculptor, film-maker, draftsman and painter, at present he lives and works near New York.

 Programmation : Marie Canet

Film Programme

77
1977 / 16mm transfered on dvd / 10’ / coul. / son.
courtesy de l'artiste et gb agency, Paris
T.Z
1979 / 16mm transfered on dvd / 8’30 / coul. / son.
courtesy de l'artiste et gb agency, Paris
Swiss Army Knife with Rats and Pigeons
1980 / 16mm transfered on dvd / 6’ / coul. / son.
courtesy de l'artiste et gb agency, Paris
Bang!
1986 / 16mm transfered on dvd / 8’ / coul. / son.
courtesy de l'artiste et gb agency, Paris
A Frog on the Swing
1989 / 16mm transfered on dvd / 5’ / coul. / son.
courtesy de l'artiste et gb agency, Paris

The Chinese thanks Robert Breer, gallery GB Agency, Nicky Zurlino and A. C.