27 juillet – 26 september 2011
Marie Voignier / Vassilis Salpistis
Programme proposé par Vangelis Athanassopoulos



« Personne ne se blesse. Si quelqu’un se blessait, le public dirait que la transe n’est pas vraie. » Margaret Mead, Trance and Dance in Bali (1952)

Si l’on voulait classer le travail de Marie Voignier dans un genre déterminé de spécimens visuels on se trouverait obligés de tenir pour acquises les catégories mêmes dont ce travail brouille les limites. Des entreprises virtuelles (Les fantômes, 2004) à l’industrie médiatique (Hearing the shape of a drum, 2010) en passant par les parcs d’attraction (Western DDR, 2005) et du court au moyen (Hinterland, 2009) voire au long métrage (L’hypothèse du Mokélé-Mbembé, 2011) et à l’installation vidéo (Going for a walk, 2007) Voignier focalise sur les systèmes de codes et de conventions qui déterminent le partage entre la réalité et le mythe, le documentaire et la fiction, le relevé objectif des faits et le discours qui les structure.
Marquant un intérêt particulier pour ces régions de la culture où l’imaginaire collectif rencontre le rationalisme et l’esprit positiviste, l’artiste utilise la vidéo comme moyen d’interrogation de l’identité des images, de leur statut, des contradictions et des conflits qui creusent l’écart entre ce qu’elles disent et ce qu’elles font. Cette interrogation passe par un regard conscient de son propre caractère d’acte et par une réflexion sur l’interaction entre la caméra et les sujets filmés, sur les distorsions, déplacements, surdéterminations et mises en abyme qui interviennent dans le processus de restitution du réel. Il y a dans cette approche de l’acte de filmer une dimension anthropologique – une dimension elle-même détournée et problématisée dans Des trous pour les yeux (2009). Cette pièce, co-réalisée avec Vassilis Salpistis, traite de Momogeris, une coutume traditionnelle de la Grèce du Nord liée au culte dionysiaque, aux rites de régénérescence de la nature et au théâtre satirique populaire.
Tournée en partie au Musée d’ethnologie et des arts populaires de Macédoine-Thrace, la vidéo met en scène un ethnologue-muséologue auquel les artistes ont demandé de revêtir le costume de Momogeris à des fins de « reconstitution » visuelle de la coutume. Ainsi travesti, l’ethnologue se livre à un entretien-performance qui mêle discours scientifique et témoignage sur la précarité socioprofessionnelle de sa spécialité à une série de gestes et de poses difficiles à identifier et qui culminent vers la fin de la vidéo à ce qui semble être une sorte de danse rituelle filmée au ralenti.
Voignier et Salpistis prennent ici comme sujet le processus d’acculturation des objets interrogeant tant le rôle de l’institution muséale que les thématiques, les procédés et les conventions narratives du film ethnographique. Vers le milieu de la vidéo un homme étrange apparaît, le visage badigeonné de noir, qui lit le texte officiel du musée donnant la description anthropologique de Momogeris. Au fil de sa lecture l’on se rend compte qu’il s’agit d’un des trois protagonistes de la coutume, le Vieux, la Mariée et le Nègre ; comme un héros borgésien, il sort du texte pour incarner une voix qui pourtant n’est pas la sienne, pour donner corps à des paroles qui ne viennent pas de lui.
Entre le scientifique déguisé en créature de légende populaire et le personnage fictif transformé en porte-parole du discours institutionnel, le jeu de rôles fait ressurgir la dépersonnalisation que l’appareil d’observation impose au fait observé d’une manière qui laisse le travail suspendu quelque part entre le docu-fiction et le film de performance. La valeur de témoignage des images est ainsi constamment retournée contre elle-même à travers des procédés de déplacement et de décontextualisation qui la désolidarisent du discours. Vacillant entre l’indétermination des premières et l’abstraction du second, l’objet acquiert une dimension fantomatique ; la redécouverte momentanée et anti-scientifique de sa valeur d’usage n’est autre chose que le prétexte pour rejouer le processus de sa transformation en image de lui-même – non pas une image juste, juste une image.



« No one is hurt. If any one is hurt the people say the trance is not real. » Margaret Mead, Trance and Dance in Bali (1952)

If we wanted to classify the work of Marie Voignier in a specific genre of visual specimens, we would have to take the very categories blurred by her work for granted.
From virtual companies (Les fantômes, 2004) to the media industry (Hearing the shape of a drum, 2010), via amusement parks (Western DDR, 2005), short and medium-length films (Hinterland, 2009), or even long feature films (L’hypothèse du Mokélé-Mbembé, 2011) and video installations (Going for a walk, 2007), Voignier throws light on the systems of codes and conventions which determine the division between reality and myth, documentary and fiction, objective facts and the discourse which structures them.
Showing a particular interest for those regions of culture where the collective imaginary meets rationalism and the positivist spirit, the artist uses video as a tool to question the identity of the pictures, their status, and the contradictions and conflicts which widen the gap between what they say and what they make.
This interrogation is subjected to a gaze aware of the character of its own act, and reflects on the interaction between the camera and the subjects filmed, on the distortions, the movements, overdeterminations and mises en abyme which speak during the process of the return of the real. There is an anthropological dimension in this approach of the filming act - a dimension which is itself diverted and uncertain in Des trous pour les yeux (Holes for eyes) 2009. This piece made together with Vassilis Salpistis, deals with Momogeris, a traditional custom from North Greece linked to a Dionysian cult, to rituals concerning the regeneration of nature and to popular satiric theater.
Recorded partially in the Museum of ethnology and the popular arts of Macedonia-Thrace, the video stages an ethnologist-museologist, whom the artists have asked to dress in the costume of Momogeris in a visual "reconstruction" of the custom. In full costume, the ethnologist achieves an interview-performance which mixes scientific discourse and testimony to the social precariousness of his occupation, and a series of gestures and postures difficult to identify, which culminate towards the end of the video in what appears to be a kind of ritual dance filmed in slow motion.
Voignier and Salpistis take for their subject the process of acculturation of the objects, putting into question both the role of the museum as an institution and the themes, the processes and the narrative conventions of the ethnographical film.
In the middle of the video a strange man appears, with his face painted in black, who reads the official text of the museum giving an anthropological description of Momogeris. In the course of his reading, we realize that it is about one of three protagonists of the custom, the Old man, the Bride and the Negro; as a hero of Borges, he strays from the text to embody a voice which is nevertheless his own, giving body to words which do not come from him. Between the scientist disguised as a folklore creature and the fictitious character transformed into a spokesman of institutional speech, the role-playing makes the depersonalization re-appear, which the device of observation imposes on the fact observed in a way which leaves the work suspended somewhere between documentary-fiction and film performance. The testimonial value of the images is thus constantly turned upon itself through a processes of movement and of decontextualization which separate it from the discourse.
Vacillating between the indecision of the first ones and the abstraction of the second, the object acquires a fantasmatic dimension; the momentary and anti-scientific rediscovery of its use value, is the pretext for replaying once more the process of its transformation into an image of itself – not a just image, just an image.

Vangelis Athanassopoulos


Programme
Des trous pour les yeux

De Vassilis Salpistis et Marie Voignier
2009, 12’, video, col., son.

Courtesy galerie Marcelle Alix

ChinaGirl thanks Marie Voignier, Vassilis Salpistis and Adrian Glasspool