8 juillet 2009 – 7 septembre 2010
Isabelle Cornaro / Films




Théoriquement on peut bien accepter que le film n’ai d’autre ambition que de saisir le mouvement et la lumière. Premier rêve d’Oskar Fischinger (2008) - en référence à l’une des figures centrale de l’avant-garde du cinéma abstrait - est un sketch filmique redéployant en deux temps, au travers du cinéma, l’expérience du tableau. La première partie est un travelling en caméra portée sur une composition d’objets disposés dans le noir. Vient ensuite une succession de plans fixes qui dévoilent la caractéristique de la scène : il s’agit d’un paysage construit à partir d’un buste miniature sculpté dans de l’ivoire, de bijoux déroulés à plat, de flacons décorés, d’objectifs de prise de vues. La deuxième partie, en contraste, est une série de plans fixes sur des sulfures de cristal à l’intérieur desquelles est enfermé, à vif, des pâtes colorées. Les gros plans successifs dévoilent l’ambivalence de l’objet et de ce qui est vu : nouveaux paysages construits au croisement du rêve et de l’archaïsme, rencontre alchimique du feu et de la matière. Ce sont des tableaux photographiques et picturaux, les mouvements arrêtés y fossilisent ce qui est déjà fossile. L’expérience des « ressemblances informes » dégage ici la composition de ce qu’elle est par la voie de l’abstraction. En même temps, le film réinvente ici la peinture de paysage en redéployant les notions de spatialité et de profondeur, de dessin et de composition.

Ainsi, la série des installations Paysage avec poussin et témoins oculaires (depuis 2009) sont des compositions sur socle d’objets liés à la représentation de la nature. Les modules installés hiérarchiquement, par ordre croissant de taille et de forme, reproduisent, dans la perspective de l’espace d’exposition, ce qui est, plan à plan, un ordonnancement classique d’espace paysagé – du moins tel que la tradition picturale occidentale nous l’a livré. L’ensemble redéfinit, par le biais de l’abstraction, le déroulement spatial de la profondeur du tableau. Des tapis, d’inspiration orientale, roulés au sol, marquent les premières horizontales. Le placement des socles, à hauteur variables et progressives, définit structurellement l’idée de troisième dimension. La déambulation dans l’installation produit physiquement la décomposition du tout en fragments. Dés lors, le mode perceptif opérationnel proposé est cinématographique : par ce mouvement même, par le montage qu’il provoque, le cadre, la composition des plans en devenir. Le paysage, par le glissement des ressemblances, et par le retournement de la représentation sur elle-même, est ré-écrit au moyen d’objets domestiques – principe expérimenté précédemment dans la série des Savanes (2003-2007), paysages de brousse dessinés par agencement de bijoux anciens. Les objets ici sélectionnés sont des objets usuels à l’image de ce dont ils ont la fonction : une terrine en faïence en forme de lapin, des vases décorés de fleurs, un coquetier en poussin. Ce sont aussi un ensemble d’instruments scientifiques destinés à la mesure de l’espace : des jumelles, une loupe, une mire de diapositives, des règles. Tous sont des trophées de civilisation, sédiments d’une culture moderne et progressiste, marqués d’une esthétique qui ne peut totalement couvrir leurs valeurs idéologiques.

Les films d’objets réalisés par Cornaro ont en commun de pervertir la matérialité de ses sujets et de les explorer comme potentiel paysages (de couleur, de forme, de narration, d’inspiration). La série des Projections présente des esquisses filmiques à partir de projections de peinture rouge, jaune et bleu sur des formes géométriques en cartons. Là où les références picturales sont subverties par le geste artistique détaché, lorsque le volume et la ligne sont contredis par la tache pulvérisée, le cinéma lui-même est renversé. Car ces bouts de film, lorsqu’ils ne sont pas présentés dans une salle de cinéma, servent de source lumineuse – disons-le ces films sont aussi des lampes – pour éclairer des moulages en plâtre d’objets sur table (Homonymes, 2010).

Si l’image est une apparence fantomatique mise à jour sur un support matériel et si la projection d’une ombre fait image comme l’empreinte laissée par l’animal, le reflet de la lune dans l’eau ou le fossile dans la roche, l’image survit donc bien ici à sa définition platonicienne donnée en termes de ressemblance et d’analogie. Les Moulages sur le vif (Vides poches) (2009) sont des scanners photographiques d’objets posés, sans ordre apparent, à même la vitre de l’appareil. L’empreinte lumineuse est ici un « moulage » car le principe de reproduction est envisagé dans un mouvement de réversion : il brosse à rebours le chemin qui mène du concept abstrait jusqu’à son origine concrète, de l’objet reproduit à l’original. L’image est une empreinte. Il s’agit bien de mettre au jour les images dissimulées derrière les fétiches, de les redéployer comme des sites de production graphiques et rhétorique. Ces objets-images eux-mêmes producteurs d’images, sont ici de toutes façons des formes « fantasmagoriques » portées par une vision iconoclaste où les formes produites, quoique soit leur sources, sont projections (d’ombres, de lumière et de rêve).



Theoretically we can accept that the film has no ambition except to catch movement and light. Premier rêve d’Oskar Fischinger (2008) - in reference to one of the key figures of the avant-garde abstract cinema - is a cinematic sketch redeploying in two phases, through - cinema, the experience of the picture. The first part is a travelling handled camera on a composition of objects arranged in the dark. Then a succession of static shots reveals the characteristic of the scene: it is a landscape built with a miniature bust sculpted in ivory, with unraveled jewelry, decorated flasks and camera lenses. The second part, in contrast, is a set of static shots on crystal sulphides inside which is locked, lively, colored pastes. The successive close-ups reveal the ambivalence of the object and of what is seen: new landscapes build in the crossing of dream and archaism, alchemical meeting of the fire and the material. They are photographic and pictorial pictures, the fixed movements fossilize what is already a fossil. Here the experience of the «formless resemblances» liberates the composition of itself by abstraction. At the same time, the film reinvents the landscape painting by redeploying the notions of spatiality and depth, drawing and composition.

So, the editions of the installations Paysage avec poussin et témoins oculaires (since 2009) are compositions on plinths comprising objects relating to the representation of nature. The modules installed hierarchically in order of size and shape, reproduce plan to plan, in the perspective of an exhibition space, the classical organization of a landscape space – at least one defined to us by a western pictorial tradition. The set redefines, by means of abstraction, the spatial development of the picture depth. Carpets of oriental inspiration, rolled on the ground, mark the first horizontal. The placements of pedestals, at variable and progressive heights, define structurally the idea of the third dimension. Walking through the installation produces a physical decomposition of the whole into fragments. Therefore, the proposed operational perceptive mode is cinematic: through this movement, through the editing that it induces, through the frame and the composition of plans. The landscape, by the shifting of the resemblances, and by the turnaround of the representation on itself, is rewritten by means of domestic objects – a principle experimented previously in the Savanes series (2003-2007), bush landscapes drawn by the organization of old jewelry. Here the objects selected are everyday objects chosen for their function: an earthenware terrine in the shape of a rabbit, vases decorated with flowers, an egg cup in the form of a chick shaped egg cup. They are also a set of scientific instruments intended for the measuring of space: binoculars, a magnifying glass, a test card of slides, rulers. All are trophies of civilization, sediments of a modern and progressive culture, marked with an aesthetics which cannot totally cover their ideological values.

The films of objects realized by Cornaro have in common the corruption of the materialism of their subjects, to investigate them as potential landscapes (of color, shape, narration and inspiration). The Projections series presents cinematic sketches from projections of red, yellow, purple and blue paint on geometrical cardboard forms. There where the pictorial references are subverted by the detached artistic gesture, when the volume and the line are contradicted by the pulverized spot, the cinema is reversed itself. Because these footages, when they are not presented in a cinema, serve as a light source - let us say it, these movies are also lamps - to enlighten a cast of objects in plaster presented on table (Homonymes, 2010).

If image is a ghostly appearance updated on a material support and if the projection of a shadow makes image as the imprint left by the animal, the reflection of the moon in the water or the fossil in the rock, the image thus survives here to its Platonic definition given in terms of resemblance and analogy. Les Moulages sur le vif (Vides poches) (2009) are photographic scanners of objects put, without visible organization, directly on the window of the machine. The bright imprint is here a "cast" because the principle of reproduction is envisaged in a movement of reversion: it turns over the way which leads from the abstracted concept to its concrete origin, the object reproduced to the original. Picture is an imprint. It is indeed a question of enlighten the images hidden behind idols, of redeploying them as space of graphic and rhetoric production. This object-images, themselves producer of image, are here in any case « phantasmagorical » forms engendered from an iconoclastic vision where the produced forms, although their origins, are projections (of shadow, light or dream).

 Programmation : Marie Canet

Film Programme
Projections
2010 / 16mm transferred on dvd / 6’ / coul. / sil.
Floues et colorées
2010 / 16mm transferred on dvd / 3.26’/ coul. / sil.
De l'argent filmé de profil et de trois quarts
2010 / 16mm transferred on dvd / 2.02’/ coul. / sil.
Film-lampe
2010 / 16mm transferred on dvd / 1.40’/ coul. / sil.
Première rêve d'Oskar Fischinger
2009 / 16mm transferred on dvd / 1.33’ and 1.41’ / coul. / sil.

ChinaGirl thanks Isabelle Cornaro, Gallery Balice Herting and Anne-Sophie Dinant